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Circular Fashion Week 2025 : ce que la mode ne peut plus ignorer

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La semaine dernière, nous avons participé à la Circular Fashion Week 2025 à Lille. Deux jours denses, stimulants, parfois dérangeants, et surtout profondément utiles. Rares sont les événements qui parviennent à conjuguer à ce point lucidité, expertise terrain et vision stratégique. Ici, pas de greenwashing. Pas de slogans creux. Mais un constat partagé : le système actuel est arrivé à ses limites, et la transition vers une mode circulaire n’est plus un « plus », c’est une nécessité structurelle.

En tant que cabinet de conseil accompagnant les marques de mode sur leurs systèmes d’information et leurs processus métier, nous en ressortons avec une conviction renforcée : la circularité n’est pas un sujet de communication, c’est un sujet d’architecture.

Retour sur les grands enseignements de ces deux journées.

 

Produire toujours plus n’est plus une option ❌

Les chiffres présentés font l’effet d’un électrochoc. En 2024, 3,5 milliards de pièces neuves ont été vendues en France, soit près de 7 000 pièces par minute. Et cette trajectoire ne ralentit pas : si la tendance actuelle se poursuit, on atteindra près de 4,8 milliards de pièces en 2040 selon les estimations rapportées par Isabelle Robert de la ChaireTex&Care.

En parallèle, la réalité du tri et du recyclage est sans appel :

  • sur 44 pièces mises en marché, seulement 14 sont collectées (32 %)
  • 10 sont triées (23 %)
  • 6 sont réutilisées,
  • et 3 sont recyclées…

Autrement dit : le recyclage ne sauvera pas le modèle. D’autant plus que moins de 1% des textiles sont aujourd’hui recyclés, alors que 70% des émissions proviennent des chaînes d’approvisionnement.

Ce gouffre entre production et traitement des déchets n’est pas un accident. Il est le produit d’un modèle économique fondé sur la vitesse, le volume et la rotation permanente.

   

La circularité, ce n’est pas un projet RSE, c’est une stratégie d’entreprise 🎯

Lors de la conférence « Mode circulaire : défis mondiaux = réponses mondiales », un point central a émergé : la transformation doit naître localement, au cœur même des organisations.

Elle repose sur trois piliers indissociables :

  • le design (durabilité, réparabilité, modularité),
  • les infrastructures (tri, réparation, recyclage, logistique retour),
  • et les business models (seconde main, location, revente, économie d’usage).

Ce que cela implique concrètement ? Que les directions produit, finance, IT, logistique, achat et RSE doivent travailler ensemble.

« Il faut mettre les équipes Business et RSE dans la même pièce » a-t-il été martelé.

 

La circularité doit être intégrée au cœur du modèle économique, sans quoi elle reste cosmétique.

Autre rupture culturelle forte : la circularité n’est pas un coût, c’est une opportunité de création de valeur. À condition de repenser le modèle en profondeur.

 

Des marques qui montrent que c’est possible 🤝

Certaines entreprises ont partagé des trajectoires inspirantes, non pas parfaites, mais concrètes. Chez Kiabi par exemple, la transformation passe par :

  • une trajectoire matières engagée
  • de nouvelles méthodes de conception
  • la lutte contre l’obsolescence émotionnelle
  • la sortie des micro-tendances
  • la prise en compte de la durabilité dès le design.

Le message des équipes est fort : les designers ne veulent plus seulement créer des produits, ils veulent créer du sens.

Chez Decathlon, la circularité est pensée dès l’origine du produit. Les ateliers de réparation sont intégrés à la conception, la seconde main et la location font partie du modèle, et les flux de retour sont anticipés. Leur logique est limpide : concevoir des produits qui reviennent est plus stratégique que concevoir des produits jetables. Une campagne publicitaire résume tout : « Votre enfant grandit, votre vélo aussi. »

 

Relocaliser : Faire renaître l’industrie textile français ⚜️

Relocaliser, c’est remettre du réel derrière les discours. Promod en fait la démonstration avec Les 3 Tricoteurs et maison Lemahieu : des partenariats de proximité, sans intermédiaire, capables de produire en petites séries et de renouer avec le savoir-faire. Mais cela demande des efforts des deux côtés : ajuster les prix, renforcer les compétences style et technique, accepter la transparence et réapprendre les étapes du développement.

Les visites d’usine, les échanges en amont et la compréhension des contraintes – coûts, tests, aléas – sont redevenus essentiels. Lemahieu le rappelle : durabilité et recyclabilité impliquent des matières stables et des tests rigoureux.

Le Made in France n’est pas parfait, c’est de la production. Ce qui compte, c’est l’engagement mutuel pour reconstruire une filière locale et durable. Le local devient essentiel pour la survie de l’industrie textile en France.

   

La seconde main est un défi industriel, pas seulement marketing 🏭

On l’oublie souvent : la circularité n’est pas qu’une idée, c’est une réalité opérationnelle. Pour des acteurs comme Reekom, spécialisés dans la revalorisation textile, le défi est principalement industriel : flux logistiques, adaptation des machines, gestion unitaire des produits.

Un exemple très concret nous a particulièrement marqué : là où un produit neuf nécessite une photo pour 10 000 pièces, la seconde main impose une photo par produit, pour documenter les défauts, l’état, l’usure. Ces détails opérationnels illustrent une réalité : la circularité est un métier, pas un discours.

Et elle ne peut pas se développer correctement sans co-construction entre marques, industriels et nouveaux acteurs.

 

« Faire moins » : le vrai sujet, longtemps évité 🤏

La question a été traitée dans une grande majorité des conférences : et si la première action circulaire était de produire moins ? Que l’on parle de seconde main, de sobriété, de recyclage, la mode ne deviendra pas circulaire sans réduction des volumes.

Les chiffres sont clairs. Si on continue comme ça, en 2030, on dénombrera près de 4 milliards de pièces.

Parmi les autres insights impactants qui ont été partagés :

  • 52% des consommateurs ne connaissent pas la composition de leurs vêtements
  • seulement 35% des acheteurs online regardent la matière avant d’acheter
  • certaines plateformes comme SHEIN représentent à elles seules 6% des volumes mondiaux.

Mais la vraie rupture est culturelle : il ne s’agit pas seulement d’acheter « responsable », mais de repenser notre attachement au vêtement. Le concept de « régime vestimentaire » marque un tournant : moins de pièces, mais plus de valeur, plus de soin, plus de durée.

 

La durabilité : invisible, donc inexistante pour le consommateur ⏳

Un constat glaçant a traversé l’une des tables rondes : il n’existe aucun label clair sur la durabilité d’un vêtement. Autrement dit : le consommateur achète à l’aveugle.

Pour Benedicte DESREUX, Responsable RSE chez Millet, c’est avant tout la « Réputation qu’on se crée auprès des consommateurs, et sa réponse à la performance physique qu’il adresse » qui fait foi aujourd’hui. 

Deux notions clés ont été abordées :

  • la durabilité extrinsèque (tout l’écosystème autour du produit : réparation, pièces détachées, logistique, services),
  • la durabilité émotionnelle (le lien affectif entre l’objet et son propriétaire).

Certaines marques, comme Patagonia, ont rendu la réparation désirable. Une réparation visible n’est plus une honte, c’est même devenu un signe de valeur.

Et un rappel essentiel : un produit fragile n’est pas forcément non durable, s’il est bien entretenu et compris par ses propriétaires (La porcelaine par exemple).

   

La seconde main peut renforcer la surconsommation 💸

Autre discours fort : tout ce qui est circulaire n’est pas automatiquement sobre. En effet, la seconde main peut créer des effets rebond, notamment la rotation accélérée des vêtements sans allongement réel de leur durée de vie.

Quelques chiffres révélateurs :

  • 42% des Français privilégient le prix à la qualité (+9 points en 3 ans)
  • 39% reconnaissent des achats impulsifs
  • 34% estiment avoir trop de vêtements
  • 20 à 25% combinent surconsommation de neuf et seconde main.

Une phrase a particulièrement marqué les esprits :

« La seconde main peut devenir une béquille de la surconsommation. »

Le vrai indicateur n’est pas le nombre de propriétaires d’un vêtement, mais le nombre réel de fois où il est porté.

 

Rentabilité et circularité : une fausse opposition ♻️

Contrairement aux idées reçues, les modèles circulaires ne sont pas condamnés à être marginaux. Plusieurs leviers de rentabilité ont été partagés :
  • process simples
  • forte dimension communautaire
  • transparence radicale
  • volume maîtrisé (et prévisible grâce aux retours produits)
  • optimisation matière.

Des marques comme La Vie est Belt ou MUD Jeans montrent que la circularité peut générer de la valeur économique, mais aussi narrative et communautaire. Par exemple chez La Vie est Belt, les chutes qui ne sont pas utilisées pour les ceintures servent à fabriquer des colliers pour chiens. On raconte une nouvelle histoire, tout en preservant le modèle circulaire sur lequel la marque s’est fondée.

La question fiscale a aussi été posée frontalement : la mise en place d’une TVA circulaire pourrait être un levier majeur pour rendre ces modèles plus compétitifs.

   

Ce que nous en retenons, en tant qu’acteur IT & métier de la mode

Ce que nous avons vu et entendu à Lille renforce une conviction clé : la circularité ne se superpose pas aux systèmes existants, elle les transforme. Elle nécessite :
  • une traçabilité renforcée
  • des données produit enrichies
  • une capacité à gérer des boucles (retours, réparation, location, revente)
  • et une architecture IT pensée pour le cycle de vie, pas uniquement la vente.
  En conclusion : on ne change pas un système avec des slogans La Circular Fashion Week 2025 n’a pas livré de recettes miracles. Elle a livré quelque chose de plus précieux : une lucidité collective. Comme cela a été rappelé :
« Ce n’est pas un problème de volonté, c’est un problème de système. »
  Et c’est justement auprès de ces systèmes que se joue, désormais, l’avenir de la mode.

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